« À moins de se promener dans la vie les yeux bouchés, les oreilles fermées, d’acheter sans réflexion et sans enquête », on n’échappe pas à la publicité. « Ceux mêmes qui se croient imperméables ont dans la tête 100 noms que la Publicité y a mis, chaque jour ils suivent des courants de mode que la Publicité a créés ». Bref : « l’opinion publique, cette force insaisissable et toute puissante, de laquelle personne ne peut s’affranchir, est dominée par la Publicité ».
Ces propos, à la résonance très contemporaine, ont été tenus, il y a presque un siècle, par Jules Arren. Plus personne ne connaît son nom. Il est pourtant, en France, l’un des tout premiers auteurs d’un « manuel » de publicité, destiné à éclairer les industriels et les commerçants sur les techniques assurant la meilleure diffusion de leurs produits auprès de la clientèle :
Comment il faut faire de la publicité (1912).
Dans l’avant-propos, Arren explique notamment, qu’après avoir conquis l’Amérique, l’Angleterre, l’Allemagne, la publicité a enfin triomphé des résistances en France. Du coup, la question n’est plus de savoir s’il faut faire de la publicité, mais « comment » il faut la faire.
Ce bel optimisme tient, pourtant, de l’auto persuasion, et Marc Martin a bien montré que la France fut sans doute, de tous les grands pays industrialisés, celui qui afficha les réserves les plus tenaces à l’égard d’un mode de communication jugé immoral, mensonger, aliénant, machine tyrannique de la consommation et de la normalisation capitalistes.
La publicité, écrivait Edgar Morin en 1968, « consiste à transformer le produit en stupéfiant mineur – ou à lui inoculer la substance droguante, de façon que son achat-consommation procure immédiatement l’euphorie-soulagement, et à long terme l’asservissement »
Un tel réquisitoire suffirait, en soi, à attirer l’attention de l’historien, soucieux de comprendre la source, le développement, l’effet des débats qui agitent les sociétés contemporaines, de saisir le processus de perception et d’altération de la réalité par l’opinion, mais aussi les phénomènes de circulation et d’imprégnation sociales.
Pourtant, reconnaissons- le, la publicité n’a guère, jusqu’ici, suscité son plus vif intérêt, malgré l’ouvrage pionnier de Marc Martin, Trois siècles de publicité en France (1992), qui reste la référence commune, et le livre très précieux de Marie-Emmanuelle Chessel sur la construction de la profession publicitaire, issu de sa thèse.
En juin 2002,un colloque, co-organisé par la Société pour l’histoire des médias, l’Institut des images et la Bibliothèque nationale de France, a fixé des pistes de réflexion nouvelles : il s’agissait de la première rencontre posant la question des relations entre histoire et publicité.
Certaines des interventions présentées à cette occasion figurent, revues et augmentées, dans les pages qui suivent. Mais ces rares publications et initiatives ne permettent pas de couvrir l’immense chantier de la question publicitaire, trop vite abandonné aux sociologues, économistes, sémiologues, historiens d’art, parfois. Car les dimensions de l’histoire de la publicité sont multiples. Et c’est, précisément, la variété de ses facettes, économique, sociale, culturelle, que le dossier du présent numéro souhaite placer en évidence. Bien sûr, la publicité est, d’abord, une économie, qui suppose qu’on s’interroge sur le marché et ses dynamiques, les stratégies commerciales des annonceurs, l’activité générée. Mais elle est aussi une profession, qui s’est construite et s’est profondément transformée au cours du XXe siècle.
Elle est un mode particulier de création, d’art et de culture, une forme originale d’expression et de langage, nourrie de mots, de sons, d’images, forgée par l’imagination des hommes, portée par des médias qui en vivent et la font vivre. Elle est, au total, un phénomène social et culturel, caractéristique de l’essor des sociétés de masse, depuis plus d’un siècle.
C’est pourquoi il convient d’approcher la publicité en tenant compte de tous les mécanismes qui l’animent. Le dossier qui suit ne prétend évidemment pas répondre à toutes les questions. Son objectif est de montrer que la publicité d’aujourd’hui est le fruit d’une histoire qui, seule, permet d’éclairer la place qu’elle occupe dans notre quotidien et l’intensité du débat qu’elle provoque, ici et ailleurs.
Source : Histoire des Médias